Participation publique en milieu municipal: comment en faire son alliée

15/09/2023
Écrit par: OPPL
Il faut savoir éviter les pièges à ours des « fausses consultations publiques »!

L’assemblée publique de consultation traditionnelle a longtemps été un mal nécessaire, un point à l’ordre du jour, un exercice coûteux en ressources, mais peu couru ou, a contrario, explosif.

Heureusement, depuis l’adoption de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme en 1979, les pratiques en matière de participation du public dans les affaires municipales ont évolué. L’assemblée publique de consultation austère et procédurale, glissée à l’horaire à la dernière minute, a laissé place à de nombreuses innovations, pour le meilleur (et pour le pire, soyons francs).

PETIT GUIDE POUR S’Y RETROUVER

Les compétences municipales se sont élargies au fil des ans. De l’entretien de la voirie en passant par la perception des taxes et le ramassage des ordures, elles englobent désormais une variété de domaines comme l’adaptation aux changements climatiques, le logement social ou l’itinérance, à titre d’exemples. Autant de sujets sur lesquels les gouvernements de proximité gagnent à engager le dialogue avec leur population. Mais comment s’y prendre ? Faut-il consulter sur toutes les décisions ? Même si la réponse est non, dans l’action, c’est moins clair.

Les règles de l’art

Quand on convoque les citoyens, qu’on leur demande d’investir du temps dans les affaires de la cité, il faut qu’ils y trouvent leur compte. Comment ? En recevant une information adéquate, en ayant le temps de se préparer, en participant à des activités adaptées, et en connaissant réellement le niveau d’influence qu’elles et qu’ils auront sur la décision. Il faut aussi que la ville s’abstienne de poser des gestes importants sur le dossier pendant la démarche, et ce, tant que le rapport n’a pas été déposé au conseil de ville puis rendu public. Ce sont des conditions de base sur lesquelles il y a aujourd’hui consensus, et qui se retrouvent dans de nombreux écrits (Cadre de référence gouvernemental sur la participation publique, Secrétariat à l’accès à l’information et à la réforme des institutions démocratiquesGuide d’élaboration d’une politique de participation publique, ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, Règles de l’artde la participation publique, l’Institut du Nouveau Monde). 

Les citoyennes et citoyens : plus informés, mais aussi plus sollicités

Les efforts mis dans la préparation de la documentation et de l’animation d’une démarche participative risquent de ne pas porter fruit si on n’a pas pris soin de mobiliser le milieu pour assurer sa participation. Cette dimension est souvent la grande oubliée des démarches participatives, qui explique pourtant en grande partie les taux de participation décevants. Un avis public est une réponse à une obligation légale. Une minorité de gens les lisent ou se sentent interpellés par leur contenu. Pourtant, rien n’empêche les équipes de déployer une stratégie de mobilisation plus étoffée, et plus en amont, de l’avis public. Que ce soit par des publicités ciblées sur les réseaux sociaux, dans les journaux locaux ou par d’autres outils de communication, il faut s’adresser aux gens par des moyens qui sont susceptibles de les atteindre.

Il faut être actif dans la mobilisation des personnes et des organisations et donner le goût de participer. La simple annonce d’une démarche ne suffit pas à susciter la participation du public, et ne peut être considérée comme un effort suffisant. Ce n’est pas la qualité esthétique ou rédactionnelle qui fera la différence, mais plutôt l’effort qu’on mettra à acheminer le message sur le terrain pour qu’il pousse les gens à l’action.

En présentiel, par écrit, en ligne : quelle modalité choisir ?

Devant le taux d’analphabétisme au Québec, on ne peut prétendre qu’une consultation strictement écrite est inclusive. Il en va de même pour toutes les modalités de participation prises isolément :

  • en ligne, on perd les gens qui ne sont pas connectés par choix ou par dépit ;
  • en personne, on se prive souvent des gens avec des enjeux de mobilité et des jeunes familles ;
  • en soirée, les personnes des milieux associatifs, culturels, sociaux et économiques ne se présentent pas ;
  • le jour, c’est la population qui n’est pas au rendez-vous.

Prendre le temps de réfléchir aux publics qui risquent le plus d’être interpellés, et leur offrir des modalités de participation adaptée, c’est nécessaire et gagnant. Les modalités ne sont pas mutuellement exclusives, on gagne à les combiner.

Le choix des dispositifs

Bien que l’assemblée publique de consultation soit une norme en aménagement du territoire, il existe une foule de guides de référence qui décrivent des dispositifs plus originaux les uns que les autres. Le site Web participedia.net est une ressource fort utile, pour ne nommer que celle-là. Il ne faut pas hésiter à y recourir avant de choisir un dispositif de participation. Une clé pour ne pas se tromper : garder en tête l’objectif pour lequel on souhaite faire participer et entendre les gens. On ne s’y prend pas de la même manière pour développer une vision pour le logement sur son territoire que pour éclairer le conseil municipal sur un projet immobilier polarisant.

LES PIÈGES À OURS

Vous avez déjà entendu parler de démocratie « événementielle », soit ces activités où on en met plein la vue, animées par une personne charismatique, un beau décor, beaucoup de mouvement et d’action, des sondages Web en direct, des post-it qui tapissent les murs ?

La participation à la prise de décision publique est quelque chose de sérieux. Il en va du liende confiance — très fragile et souvent ténu — entre la population et les personnes élues, mais aussi plus largement, les gouvernements, qu’ils soient locaux, provincial ou fédéral. Même si cette confiance se construit à pas de tortue, elle peut disparaître en un coup de vent ! Une relation, ça s’entretient.

La consultation bling-bling

Vous avez déjà entendu parler de démocratie « événementielle », soit ces activités où on en met plein la vue, animées par une personne charismatique, un beau décor, beaucoup de mouvement et d’action, des sondages Web en direct, des post-it qui tapissent les murs ? Rares sont ces activités qui permettent réellement de produire, en commun, des propositions utiles pour éclairer la prise de décision.

Bien que le plaisir ne soit pas exclu, la participation publique est d’abord et avant tout une démarche qui constitue un intrant important de la prise de décision. S’il n’y a pas d’espace d’influence, mieux vaut économiser ses énergies et son argent et ne pas convoquer les gens, même si l’idée d’organiser un événement aux allures de fête est séduisante.

Les gens ne sont pas dupes. Tout miser sur l’expérience des personnes participantes, c’est peut-être bon pour le moral et ça fait de belles photos pour les réseaux sociaux, mais c’est contre-productif en matière de confiance et d’utilité !

Les consultations de dernière minute

La participation publique, ça se planifie soigneusement. Il y a beaucoup à faire : document d’information à produire et à rendre public, programme d’activité, diffusion d’invitations, convocation dans des délais suffisants et accompagnée de l’information pertinente pour permettre une préparation adéquate. Ne pas satisfaire à chacune de ces exigences représente autant d’occasions de faire dévier le débat. À la fin du compte, procéder ainsi peut ralentir encore plus le processus. Les équipes des villes, autant que les citoyennes et citoyens, doivent voir venir les choses. Autrement, les résultats risquent d’être décevants et peu crédibles et l’adhésion de la population à la suite du projet sera inexistante.

La tentation de vouloir contrôler le message

Engager le dialogue avec la population, c’est d’abord et avant tout faire acte d’humilité. D’autres diront que c’est un acte de foi. Ce qui est dit dans l’espace public devant témoins ne peut ensuite être magnifié dans un rapport. Et surtout, si on invite la population à s’exprimer, il faut lui laisser l’occasion de le faire véritablement, sans égard à ce qu’elle dira.

Avec respect, tout peut-être dit. Mieux vaut l’entendre avant de prendre une décision qu’après coup, alors qu’il existe encore une marge de manœuvre. À ce titre, une personne qui agit comme tiers neutre est souvent une excellente alliée dansles dossiers les plus complexes ou sensibles. Sa présence rassure la population, et permet aux fonctionnaires de se concentrer sur leur expertise et leur connaissance pointue des projets.

L’erreur d’ignorer les résultats d’une démarche

Même si l’atteinte d’une relative acceptabilité sociale ou l’accroissement de l’adhésion autour d’un projet peuvent être des objectifs politiques légitimes, il est impossible de prévoir le résultat d’une démarche participative. On ne peut exiger d’un processus démocratique qu’il produise un résultat fixé d’avance ! Il est essentiel que le conseil prenne acte du fruit de la participation citoyenne et l’inclue dans sa réflexion. Cela ne veut pas dire de retenir toutes les propositions recueillies, mais bien d’en prendre connaissance et de démontrer clairement qu’elles ont bel et bien été prises en considération. La décision peut aller dans une autre direction que celle exprimée par la population, mais le simple fait de reconnaître que le conseil en a décidé autrement, malgré les appréhensions exprimées par le public, démontre du respect et de l’égard pour les personnes qui ont pris le temps de s’informer et de s’exprimer dans une démarche participative. C’est un minimum.

LES PROMESSES DE LA PARTICIPATION PUBLIQUE

Finalement, à quoi servent tous ces efforts ? Les bénéfices sont nombreux. D’une part, cela permet d’éclairer la prise de décision. Il existe de nombreux autres bénéfices, dont les effets sont tantôt liés directement au projet qui fait l’objet d’une démarche participative, tantôt sur d’autres dimensions de la vie d’une communauté et qui se mesurent dans la durée. Le temps accordé à préparer et à mettre en œuvre une démarche participative permet :

  • aux équipes municipales de documenter et argumenter solidement les projets, de développer une vision commune et partagée à l’interne en vue de le communiquer à l’externe ;
  • de créer des occasions de rencontre entre la population et l’entité municipale, trop souvent abstraite ou désincarnée aux yeux du public ;
  • de faire circuler de l’information sur le projet ;
  • de recueillir les points de vue, critiques, suggestions ;
  • d’identifier des voies de passage qui n’avaient pas été imaginées ;
  • de développer de l’empathie pour le point de vue des autres personnes ;
  • de créer des occasions de rencontre entre concitoyennes et concitoyens qui parfois, ne se connaissent pas, contribuant indirectement au sentiment d’appartenance et à la création de liens sociaux ;
  • de mettre en lumière d’éventuels angles morts qui pourraient subsister dans les projets.

Après tout cela, ce sont les personnes élues qui prendront la décision, qui devront la justifier et qui en seront imputables. La participation publique est un intrant essentiel dans la vie démocratique. Cela dit, et malgré toutes ses vertus, elle ne remplacera jamais le courage politique.

 

Julie Caron-Malenfant.
Présidente, Office de participation publique de Longueuil

Article publié dans la revue « Gouvernance et tendances » de la Corporation des officiers municipaux agréés du Québec (COMAQ) à l’été 2023